Artiste : Ministry
Origine : Illinois, États-Unis
Date de sortie : 1988
Genre : EBM, industriel (presque metal)
Note : 10/10
On raconte souvent que Ministry faisait dans la synthpop durant la majeure partie des années 80 avant de brutalement basculer vers le metal industriel en 1988 avec The Land Of Rape And Honey, est-ce vrai? The Land Of Rape And Honey est-il réellement le disque de la rupture avec le passé anglofile d’Al Jourgensen? Ma réponse est claire et nette: ABSOLUMENT PAS! En portant un regard global sur les morceaux enregistrés jusque là par Ministry, une tendance à la radicalisation sonore semble se dégager, si on excepte With Sympathy, excellent dans son genre mais dont le mixage très lisse rompait la dinamique. Pour résumer grossièrement, entre 1981 et 1986, Ministry a successivement joué du rock gotique inspiré par The Cure et Joy Division (Overkill, I’m Falling), de la new wave plus électronique mais à l’agressivité accrue (Wait, All Day, Everyday Is Halloween) et enfin de l’EBM très abrasive et sombre (tout l’album Twitch, Self Annoyed).
À chaque étape de ce cheminement musical, Al Jourgensen s’est distingué par un remarquable talent de composition assorti d’une incroyable capacité à pondre des imnes redoutables d’efficacité, mais il ne comptait pas en rester là. Toujours motivé par la quête de sonorités plus extrêmes, il décide de ressortir sa guitare du grenier puis recrute le bassiste Paul Barker et le batteur William Rieflin fin 1986. Si ce choix pouvait ressembler à un retour aux sources, il se traduira au contraire par un immense bond en avant.
Dès le tube Stigmata qui ouvre son 3ème LP, Ministry frappe très fort, on y retrouve la voix saturée et la lourdeur ritmique qui caractérisaient Twitch, mais l’ajout de riffs saturés apporte une dose considérable de puissance sonore, et ce n’est que le début. En effet, les deux morceaux suivants, The Missing et Deity, frappent encore plus fort avec leurs ritmiques martiales, leurs riffs aussi ipnotiques que dévastateurs et le chant hargneux de Jourgensen, presque méconnaissable, jamais la musique de Ministry n’avait autant fait secouer la tête. Cette alliance entre l’efficacité dansante de l’EBM et la force de frappe amenée par le bagage punk hardcore des nouvelles recrues aura évidemment une influence décisive sur le développement du metal industriel!
Le reste du disque revient cependant à une EBM plus épurée et donc plus nettement dans la continuité de Twitch, sans que cela implique de baisse de qualité. Ministry offre notamment l’un des morceaux les plus brillants de toute sa discografie, le fabuleux Golden Dawn, un post-punk abrasif très Public Image-esque sublimé par la ligne de basse purement jouissive de Paul Barker et une ambiance terriblement addictive, un vrai régal! Plus agressifs, les redoutables Flashback et I Prefer sont animés d’une hargne quasi-métallique à s’en rompre la nuque malgré l’absence de guitares saturées, tandis que le terrifiant You Know What You Are et ses rires démoniaques glacent le sang tout en offrant un motif principal des plus envoutants. Avec le morceau-titre The Land Of Rape And Honey, on retrouve le groove funky de Over The Shoulder sur le disque précédent, et là encore difficile de succomber à une alliance aussi parfaite d’abrasivité et d’accroche tubesque. Et même lorsque la musique se fait plus expérimentale et moins accessible, la qualité est au rendez-vous, comme sur le très twitchesque Abortive (enregistré durant les sessions de Twitch justement), l’intermède orientalisant Hizbollah ou le glacial mais terriblement dansant Destruction, version plus sombre d’un titre EBM enregistré en 1987, Self Annoyed, déjà évoqué dans l’introduction.
Si le talent d’Al Jourgensen était déjà largement perceptible dans les trop sous-estimés morceaux pré-87, c’est bien avec The Land Of Rape And Honey que se forgera la patte Ministry. Bien épaulé par Paul Barker à l’écriture, Al est parvenu à allier le groove détonnant de sa période new wave à l’abrasivité EBM de Twitch, tout en amplifiant la violence sonore de sa musique grace à l’ajout de riffs saturés et d’une section ritmique redoutable, pour un résultat aussi créatif qu’efficace. Si l’album est souvent vu comme le manifeste du metal industriel, le restreindre à cette étiquette serait très réducteur. The Land Of Rape And Honey est en effet encore trop électronique pour être metal, et bien plus recherché et original que certaines figures populaires du metal industriel de la décennie suivante.
Ce véritable coup de génie de Ministry ne restera pas sans suite, puisque durant les années qui suivront, le groupe étoffera encore sa discografie par une impressionnante série d’albums légendaires, au fil desquels les éléments metal prendront définitivement le pas sur les origines électroniques et new wave, jusqu’à un retour aux sources partiel en 1999 avec Dark Side Of The Spoon. Cette trajectoire musicale montre bien à quel point The Land Of Rape And Honey n’est pas à considérer comme un album de rupture avec le passé mais plutôt comme une étape d’un long processus d’évolution sonore entamé avec Twitch en 1985 et achevé avec le plus thrashy Psalm 69 en 1992.