A Diabolic Thirst

Artiste : Spectral Wound

Origine : Québec, CA

Date de sortie : 2021

Genre : Black Metal Mélodique

2021, année Black Metal.

Il faut croire que les phases d’isolement successives ont bien réussi à toute cette clique de nerds qui composent dans leur chambre, au gré des ondulations de leurs longs cheveux bien entretenus.

Pour celles et ceux qui l’ont connu à son supposé « âge d’or », ce pullulement artistique peut parfois être synonyme de dispersion, voire de corruption. « Le Black Metal c’était mieux avant« , « Au moins dans les 90s c’était vraiment rebelle et subversif« … On a tous lu ce genre de phrase quelque part sur les Internets.

Alors, le Black Metal s’est-il ramolli ? A-t-il perdu de vue sa grandeur, s’est-il égaré dans les limbes de la justice sociale ? Les vrais Edgelords sont-ils voués à être grand-remplacés par les hordes infernales d’Hommes-Soja ?

Qui es-tu, Black Metal ? Et peux-tu nous affirmer que non, tu n’as pas changé ?

(da da da da da daaaaaaaa….)

Les Québécois de Spectral Wound offrent selon moi une des meilleures réponses actuelles à ce questionnement. Le quintette sévit depuis 2015 et s’est déjà taillé un solide nom dans l’underground avec ses deux premiers albums. Mais ce « A Diabolic Thirst » met encore la barre un cran plus haut, et m’a personnellement fait l’effet d’une bonne fessée administrée à coups de pelle.

Cet opus est forgé dans le Metal le plus Noir qui soit ; rapide, glacial, sans compromis et avec une esthétique clairement tournée vers ce qui a fait les grandes heures du Black scandinave. Rien que la pochette en dit long : c’est en noir et blanc, c’est décadent et plein de candélabres et symboles occultes. Avec pareil décorum, on peut vite se dire qu’on a affaire à un énième clone de Darkthrone ou de Mayhem sans originalité ; il n’en est rien.

Spectral Wound réussissent encore une fois le tour de force de livrer un Black Metal mélodique dans la droite lignée des années fin 90 – début 2000 tout en étant impactant et vivace. L’écoute du tube Frigid and Spellbound que je vous propose ici suffit à s’en convaincre ; d’entrée de jeu tu sais que cette ligne mélodique, toute en trémolos mineurs, va te rester en tête pendant longtemps. Des riffs incisifs et hargneux au centre de l’écriture et de la composition, une voix qui hurle à la mort, une basse profonde et bien présente dans le mix, le tout emmené par des blasts de batterie qui soulèvent les enfers et ta daronne avec.

Ça joue VITE, ça joue FORT : pôs l’temps d’niaiser, tabarnak !

Il y a deux points majeurs qui séparent Spectral Wound des pâles copies Lo-Fi qui se veulent « Trve ».

Premier point, la production moderne et bien balancée qui donne toute sa place à chaque instrument et donne un son très dynamique.

Mais surtout, la lucidité sur ce qu’ils font. Ces gars-là savent où est leur place et ce qu’ils veulent faire de leur Black Metal. Il ne sont pas là pour singer les Grands Anciens, et ils ne sont pas là non plus pour « repousser les limites du genre« . Ils assument l’influence de la scène Finlandaise en particulier sur leur son, froid, dynamique et mélodique. Spectral Wound sont là pour faire « un Black Metal que nous avons envie d’écouter sur une base régulière » (source : interview pour exclaim.ca).

Leurs thèmes lyriques quant à eux sont principalement portés sur l’occultisme et sur l’absurde vacuité de la vie humaine et de la notion de « liberté ».

Oui, l’absurdité de l’univers est probablement la poétique fondatrice de Spectral Wound. Mais il faut bien distinguer ça du Nihilisme ou du Gnosticisme Chaotique. Découvrir l’absurdité de l’univers juste pour essayer de réinstaller un autre système de pensée n’est rien d’autre qu’une nouvelle forme d’abdication. Pour moi, ce non-sens est essentiellement une promesse et une opportunité pour la création est l’engagement, pour examiner de quoi le monde est fait et non pas pour quoi il est fait, et pour la création de nouvelles significations et contingences.

Spectral Wound, traduit d’une interview pour Metal Injection (2018). source

En clair, Spectral Wound explorent un thème très classique dans le Black Metal, mais pas avec la naïveté d’un adolescent de vingt piges et sans tomber dans les dérives identitaires faciles. Les mecs sont cultivés, ils s’inspirent d’Ingmar Bergman, et prennent du recul sur leur art. Ils ont par ailleurs fait savoir de façon non ambigüe qu’ils n’étaient pas du tout sympathisants pour les idéologies raciales affichées par nombre de leurs pairs européens, lors d’interviews (source). Mais ils ne ressentent pas le besoin de l’afficher plus que ça dans leurs paroles ou leur imagerie. Si vous êtes sensible aux compromissions idéologiques des groupes de Black Metal que vous écoutez, Spectral Wound sont « safe ». Si vous vous en foutez et que vous êtes là juste pour la musique, Spectral Wound ne vous feront pas chier avec ça.

Donc oui, il est parfaitement possible de trouver du Black Metal frais, vicieux et bien fait en 2021, sans avoir à « s’emmerder à parler politique » si on en a pas envie, sans pour autant être embarrassé par des frasques puériles, et sans aller taper dans le post-blackgaze-harakiri-expérimental pour autant.

Le Black Metal « traditionnel » trouve une nouvelle maturité avec Spectral Wound ; fidèle à son essence, le son et les compositions sont parfaitement digérés et maîtrisés, et tous les éléments sont là. La furie, le verglas, la noirceur, les blasts, les morceaux mid-tempo bien occultes et vicieux comme Mausoleal Drift, les mélodies inquiétantes. Blast Beats and Spooky Vibes comme dirait l’autre.

Mais c’est un Black Metal qui a laissé derrière lui ses frasques d’adolescence et qui a enfin grandi. Et Par Satan, que ça fait du bien.