Moonflowers

Artiste : Swallow the Sun

Origine : Finlande

Date de sortie : 2021

Genre : Death/doom

J’ai découvert Swallow the Sun assez tardivement, vers 2006, avec leur second album, Ghosts of Loss. Je me souviens très bien d’êtres allée acheter directement leurs deux albums (avec The Morning Never Came) après l’écoute de Ghosts of Loss, tellement la musique de StS m’a fortement secoué, je me souviens d’une claque monumentale avec cette musique à la fois si sombre, si froid, mais gorgée d’émotion, veloutée, d’une beauté vespérale et surtout empreinte de spontanéité, cette spontanéité qui sort des tripes et qui prend aux tripes! C’est la beauté des moments entre chiens et loups, la beauté sourde des lumières fantomatiques et nocturnes que seules les âmes damnées par la mélancolie chronique puissent toucher du bout des doigts. Depuis ce moment, c’est une histoire d’amour, d’autant plus quand on connaît qui est Juha Raivio, guitariste et frontman du groupe, quand on sait comment il crée, comment il vit ses amours, ses pertes, on comprend d’autant mieux la musique de Swallow the Sun, et si on l’apprécie, on sait pourquoi.

Deux ans après When The Shadow is Forced Into The Light, 7e album du groupe qu’on peut presque considérer comme l’album du deuil, et une pandémie mondiale, Swallow the Sun revient avec un chef d’œuvre, ultime et douloureux. Oui, douloureux car cet album prend naissance dans les profondeurs de la tristesse du deuil, de la déception de soi, des doutes, de l’anxiété et sûrement beaucoup de colère; mais il est ultime parce que c’est un acte de création et la plupart des actes de création dans la douleur donne naissance au sublime, c’est justement le cas ici. Si When The Shadow is Forced Into The Light est d’une infinie tristesse, Moonflowers est l’album de la colère, la colère de l’incompréhension, la colère face à l’injustice du monde, la colère d’un deuil impossible, tiraillé entre l’envie d’aller de l’avant et la tentation de succomber à la torpeur, voire la pétrification devant une douleur insoutenable, et enfin, la colère contre soi-même d’avoir cédé, de ne pas pouvoir aller de l’avant… Telle des belles de nuit (moonflowers) qui fleurissent dans l’obscurité, cet album est le résultat de tous ces sentiments, éprouvés, digérés et cristallisés dans la musique depuis l’obscurité de l’âme, c’est un concentré de beauté à la fois violente et intense, mais d’une fragilité palpable, aussi fragile que les pétales fantomatiques de ces belles de nuit sous le clair de lune. Ce sont justement les pétales de ces fleurs, séchées et conservées avec soin par Juha lui même, qui ornent la lune rouge de la pochette, lune rouge qu’il a tracé avec son propre sang, comme un marquage d’étape de vie, comme un aveu de passion et de faiblesse humaine. La sincérité.

Ne vous laissez pas avoir par l’ouverture mélancolique, tout en douceur de Moonflowers Bloom in Misery, ce n’est qu’une leurre, qu’une façade polie qu’il convient de montrer pour mieux vous noyer dans le désespoir, avec l’explosion de la tristesse dans les éclats de guitares éclaboussés, dans un monde où plus rien n’a de sens, où même les âmes sont vidées, où les rêves et la volonté sont à jamais brisés. Disons le clairement, l’album commence sans ambages, il vous fout la chiale dès le premier morceau avec ces arpèges hypno-mélancoliques, son chant clair et son growl empreint de colère. L’ensemble répétant à l’envie le même mantra: peut-on mourir d’être trop malheureux? Peut-on rêver ou respirer avec une volonté brisée? Peut-on mourir quand son âme est cassée? Tout le morceau est un long râle de malheureux qui se débat avec tout son être, sans issu.

You cry through the fires of Misery! Misery!
Bleed dry through the nights of Misery! Misery!

On comprend aisément l’enchaînement sur Enemy, sa respiration hachurée du début, l’alternance des riffs épais et agressifs avec les passages calmes, parfois accompagnés uniquement du clavier et un chant clair d’une intensité rare; suivi de Woven Into Sorrow, morceau en deux parties, qui commence sur un mid-tempo lisse, léger, presqu’aérien avec la très belle voix claire de Mikko Kotamäki avant de terminer sur une lourdeur très terrestre avec un growl caverneux dont seul Mikko a le secret d’une telle transition. L’homme malheureux se bat férocement avec son ennemie intérieur, cette ombre terrible et fidèle qui l’attend au recoin le plus sombre de son âme, prêt à le noyer dans les flots noirs du désespoir, du jugement et de la détestation de soi. Là où son amour, où celle qui était autrefois ses yeux et sa lumière était venu le chercher et l’élever au dessus des eaux. Mais elle est partie et à présent, il est de nouveau aveugle, et doublement aveugle par la douleur de cette perte, il devient un fil sur cette grande toile de douleur, sans elle.


Puis de nouveau, la culpabilité revient sur les riffs rapides de Keep Your Heart Save From Me, comme des vagues de l’océan s’abattant violemment sur la falaise avant de repartir, ne laissant plus que les traces de son passage ravageur et humide, érodant peu à peu la roche. Là encore, la voix de Mikko est plus que jamais mélancolique, pleine de tristesse et de résignation, la musique est comme la mer, tantôt calme avec la guitare lente et une batterie indolente, tantôt féroce comme les hautes vagues qui frappent les rochers avec les riffs agressifs, une batterie qui s’affole et le growl ravageur, avant de finir sur une totale inondation où la musique rempli tout avec cette guitare ondulante, déchirante et la session rythmique qui amplifie peu à peu l’atmosphère, le tout soutenant la belle voix de Mikko.


La tendresse revient avec l’espoir sur All Hallows’ Grieve, Swallow the Sun nous offre ici une magnifique collaboration avec Cammie Gilbert, la voix de Oceans of Slumber. Sublime ballade doom/death, une conversation entre l’homme et le fantôme de sa bien-aimée, est-ce la réalité? Est-ce un rêve? Ou une hallucination causée par tant de douleur? Quoiqu’il en soit, c’est sur les notes apaisées, emplies de tendresse que Cammie et Mikko se donnent la réplique et ils répètent sans cesse « I know your sorrow » comme pour rassurer, pour consoler celui qui reste.
Mais cette maigre consolation est fugace. De nouveau, le vide s’empare de l’homme, il le rempli du néant, l’homme est pétrifié devant ce bloc de rien qui pèse lourd, qui pétrifie son corps et alourdit son cœur de jour en jour. Pour lui, la seule issue, c’est la porte sombre et froide de la terre, bouche béante qui pourrait l’emmener vers la délivrance céleste. On retrouve un morceau dans le pure esprit StSunien, sombre, doux et mélancolique, ici porté par la voix claire. Il est à noter que depuis When The Shadow is Forced Into The Light, l’utilisation de voix claire prend de plus en plus de place dans les compositions du groupe, dans cette album, elle est même majoritaire.


Quand The Fight of Your Life arrive, nous sommes tentés de penser que c’est de nouveau un éclat d’espoir dans cet océan de tristesse? Eh bien nous nous trompons, c’est un long aveu de faiblesse et de doutes, c’est sombre et magnifique tellement ces doutes sont palpables et transpirent à travers chaque note, chaque riff, chaque ligne de chant, chaque hurlement. La musique crie la frustration de l’homme devant l’impossibilité de sortir de sa torpeur, devant l’indécision de partir rejoindre son âme sœur, devant l’impossibilité de sortir de l’emprise du chagrin, à en perdre la raison. Et c’est ça le combat de sa vie, un combat sourd, solitaire, long et qui semble sans fin…L’album se termine par une sainte colère, une colère comme le feu qui balaie tout sur son passage avec cette transe black metal qui ponctue le morceau comme un grand feu qui se ravive chaque fois que l’homme trouve la force de se battre, ce terrible combat intérieur semble ne pas avoir de fin, et l’homme en est conscient, il sait qu’il doit trouver un endroit où ce combat peut cesser, il sait que c’est la source intérieur qui l’empêcher d’avancer et il faut qu’il dépasse cela… Mais pour l’heure, il est dans un corps vide, il est vivant mais ne vit pas, à l’image des paroles, transperçant!

This house has no home
This house has no heart
This heart has no soul
This soul has no part
This soul has no part!

Pourtant, cette maison est en feu, la braise est forte et balaie tout sur son passage, le feu de cette guerre intérieur, cette guerre contre sa propre souffrance.

Will you die, will you die?
Misery
Will you die, will you die?

Et cette question, répétée encore et encore ne trouvera pas de réponse, pas dans cette album, pas ici, pas maintenant, pas encore…Pour l’heure, le deuil semble impossible.
Pour l’heure, l’homme se bat avec sa colère. Espérons que ce feu ne consumera pas tout sur son passage, espérons que la seule chose qu’elle réduira en cendres, reliques d’une passion dévorante, c’est cette souffrance terrible qui hante et qui rôde.