III. 5. Japan – Obscure Alternatives

Acte III : Post-punk/new wave à claviers, synthpop

Album 5 : Obscure Alternatives

Artiste : Japan

Origine : Angleterre

Bien qu’excellent et redoutablement efficace, le premier album de Japan, Adolescent Sax, est boudé par le public et une partie de la presse anglaises à sa sortie début 1978. Ostensiblement influencée par le glam rock pré-punk des Roxy Music, David Bowie, les New York Dolls ou T-Rex, la musique du groupe dans ce premier disque ajoutait à cette base de grosses touches funk-disco tout en mettant un orteil en territoires plus électroniques, bien que de façon encore très discrète. Une formule alléchante mais qui ne fait pas recette dans le pays natal de la bande, jugée trop anacronique à l’époque de l’émergence du punk rock et de la new wave, et ce malgré ses liens évidents avec ces courants contemporains. Il faut dire que Japan est assez difficile à classer dans le paysage rock du milieu-fin 70, trop pop et funky pour être punk, pas encore assez électronisé pour être new wave, et globalement trop alternatif pour être rapproché de groupes plus clairement hard/glam rock à la Cheap Trick, ce qui explique sans doute les difficultés à trouver un public. Étonamment, le groupe rencontre un succès bien plus conséquent au Japon (coïncidence assez drole), ainsi qu’aus Pays-Bas.

Mis sous pression par le label Hansa pour sortir un album à plus grand succès, la troupe retourne en studio une poignée de mois après la sortie d’Adolecent Sax, durant l’été 1978, à nouveau sous la direction du producteur Ray Singer. L’équipe se compose alors toujours de David Sylvian (chant, guitare), Rob Dean (guitare), Mick Karn (basse), Richard Barbieri (claviers, futur Porcupine Tree au passage) et Steve Jansen (batterie). À noter d’ailleurs que David Sylvian et Steve Jansen sont des pseudonimes inspirés des noms de David Johansen et Sylvain Sylvain des New York Dolls, et que les deus bonhommes sont frères. L’album quant à lui, batisé Obscure Alternatives, débarque dans les bacs en octobre 1978, soit à une époque où la vague post-punk/new wave est en pleine explosion.

Ainsi, sans être une révolution complète, ce segond disque fait quand même un pas supplémentaire vers la synthpop, notamment sur la prodigieuse instrumentale finale The Tenant, une pièce électronique ambiante à rapprocher de l’époque berlinoise de Bowie ou des débuts d’Ultravox. Essentiellement menée par les lignes de piano et de sintétiseur de Barbieri, ce titre marque également les débuts de Michael Karn au saxofone, apportant ainsi une touche plus néo-romantique qui sera encore plus explorée sur les albums suivants. On remarque également un net recul des influences funk au profit de sonorités plus reggae-isantes. Ça s’entend en particulier sur le sublime Rhodesia qui s’impose comme l’un des meilleurs titres de l’album, les riffs et la section ritmique très reggae se combinent parfaitement à l’ambiance pré-synthpop imprimée par les claviers, tandis que les lignes vocales de David Sylvian sont incroyablement prenantes, un vrai bijou qui montre à quel point Japan avait déjà de solides arguments à ses débuts! On retrouve également ce côté plus reggae sur Love Is Infectious, dans un contexte cette fois plus riffé et post-punk pas si éloigné de ce que fesait Public Image Ltd à la même période. Et si on combine tout ça, on obtient le fantastique morceau-titre Obscure Alternatives, indéniablement l’un des sommets de l’album! Que ce soit la ritmique dubisante, les lignes de basse terriblement groovy, les riffs ipnotiques, les claviers futuristes ou le chant intense, tout est parfait, à se demander comment le groupe a pu être autant snobé à l’époque! Le reste du disque officie globalement dans un registre glam rock Roxy/Dolls-esque similaire à celui d’Adolescent Sax, mais là encore le groupe s’y montre très inspiré et efficace, en particulier sur Automatic Gun!

Bien qu’enregistré dans des conditions quasi-identiques à son prédécesseur, Obscure Alternatives s’en démarque sur bien des aspects, et peut être vu comme un album de transition entre le Japan très glam rock des débuts et celui plus synthpop/new wave d’après, tendant plus d’un côté ou de l’autre selon les morceaus. Ce qui ne change pas en revanche, c’est la forte personnalité du groupe, aussi bien le chanteur que les musiciens, ainsi que son sens de la compo accrocheuse et mémorable, ce qui rend par ailleurs encore plus étonnant son manque de succès! Évidemment, il serait exagéré de comparer l’impact de ce segond album sur le développement de la synthpop à celui d’autres sorties cruciales de la même période telles Systems Of Romance ou même Tubeway Army, mais il marque tout de même les premières incursions de Japan dans ce registre, ce qui est un évènement en soi surtout quand on sait ce que deviendront le groupe et David Sylvian ensuite.

Chansons non-mélodiques, imitateurs juvéniles des Rolling Stones, les critiques pleuvront encore sur Japan après la sortie d’Obscure Alternatives. Malgré une qualité musicale à nouveau au rendez-vous et un pas supplémentaire vers les années 80, le disque est globalement massacré par la presse, tandis que le public anglais continue d’ignorer le groupe. C’est une fois de plus le public japonais qui se montre le plus entousiaste, à croire que le lien entre la bande et ce pays était écrit d’avance! Ce manque de reconnaissance ne freine cependant pas Japan dans sa démarche artistique. Afin de poursuivre sa quête de sonorités plus modernes initiée sur Obscure Alternatives, le groupe sollicite le roi de l’euro-disco de l’époque, Giorgio Moroder, pour une collaboration des plus ambitieuse. Il en résultera le single Life In Tokyo, sorti en avril 1979, qui ajoutera aus sonorités glam rock new wavisantes et disco originelles une coloration synthpop cette fois plus franche. Cette orientation sera ensuite entérinée sur le monumentale Quiet Life sorti plus tard en 1979, cette fois sans Moroder, et toujours sans grand succès populaire ou critique en Angleterre malgré la qualité une nouvelle fois remarquable de l’album.