Rétrospective 2022 – Alex

Et voici venu mon tour de livrer ma rétrospective personnelle sur les musiques qui ont occupé mon esprit cette année. Je peux vous dire que ce fut un exercice fastidieux, en partie parce que j’ai passé toute la fin décembre à élaborer des listes de rétrospective, que ce soit sur notre compte Instagram ou bien sur le webzine US Invisible Oranges.

Au final, voici les réflexions et confidences que j’ai à vous soumettre. C’est long, et pourtant j’ai élagué quelques aspects ! En un mot comme en cent, allons-y.

2022, année Roadburn

Cette année fut celle du retour des festivals, et le Roadburn non des moindres ! Après deux années de shows et de collaborations repoussées – et ce malgré une magistrale édition Redux en 2021 – les organisateurs comme les artistes ont tout donné et fourni un contingent de concerts surprises, de collaborations spécialement commissionnées, et d’exclusivités absolument délirant.

C’était mon tout premier Roadburn et ça a été l’occasion de découvrir pleinement un bon nombre d’artistes qui ne m’ont plus quitté du reste de l’année. En réalité, ce passage au Brabant Septentrional a littéralement modelé tout le reste de mon année musicale : j’ai découvert pas mal de groupes en anticipant le festival, puis sur place, puis à la suite de mes rencontres là-bas. Tous les concerts que j’ai pu voir au Roadburn étaient au moins excellents, mais évidemment mes plus grosses baffes n’étaient pas forcément les artistes que j’anticipais le plus. Pas toujours du moins.

Parmi les grandes révélations pour moi, la consécration de Messa et de leur album Close que je n’ai plus besoin de présenter à ce stade. L’expérience live était de très haute volée comme j’ai pu l’expliquer ici.

Toujours venue d’Italie, une autre révélation : la formidable, l’exceptionnelle Lili Refrain qui construit une expérience de concert ritualistique et vivante, capable de rivaliser avec – voire de déclasser – Heilung, avec qui elle est depuis partie en tournée d’ailleurs. J’en ai parlé par ici.

Les petites scènes du Roadburn ont été le théâtre de pas mal de grands moments : outre Lili Refrain il y a eu Faceless Entity sur la petite scène “tremplin” dénommée Hall of Fame, ainsi que Silver Knife, une tuerie de Black Metal bien dense par Déhà (dans le milieu on l’appelle “Droopy”) et des membres de Laster. Et que dire des concerts secrets du Skatepark : Grey Aura, Dawn Ray’d, et surtout Thou avec tous leurs amis, notamment Cloud Rat, Primitive Man ou encore Lingua Ignota.

Mention spéciale pour l’énigmatique Lamp of Murmuur qui a fait déplacer beaucoup de monde dans le Little Devil, le bar à métallos de la ville. Un endroit saturé de monde au mépris de toute norme de sécurité, une chaleur étouffante, un son “approximatif”, et une clim qui se met à couler sur des amplis à deux doigts d’électrocuter le bassiste… le TRVE KVLT.

Fort heureusement aucune perte ne fut à déplorer, et ce concert ainsi que le suivant plus “officiel” ont délivré tout le fun que l’on peut attendre de ce génie de composition, qui dégage sur scène une énergie incroyable, et hors scène une gentillesse déroutante. Tout comme ses musiciens de session, les gars locaux de Dödsrit et de Faceless Entity.

Le Roadburn a conditionné mon année en ce sens que quasiment tous les concerts auxquels j’ai assisté plus tard dans l’année y sont liés. J’ai vu Thou à Paris pour apprécier leur dernier album en date. J’ai vu Emma Ruth Rundle dans un petit théâtre parisien, compensant le fait que je l’avais loupée à Tilbourg. J’ai vu Litvrgy, qui m’avaient administré la baffe du siècle sur la grande scène du Roadburn avec lumières, fumigènes et gros son, et revu dans une petite salle de punk à chiens autogérée à Montreuil. Et j’ai toujours pas compris comment ils font pour jouer avec une telle intensité ET rester en vie plus de dix minutes. Vivement le nouvel album en 2023 qui, selon les membres du groupe eux-mêmes, contient des nouvelles orientations intéressantes… Ce qui confirme la tendance de l’EP sorti en avant-goût avec un groove encore jamais entendu chez Litvrgy.

Le Black Metal, toujours vers l’avant

Mais je triche un peu, me direz-vous ; je ne parle pas que d’albums sortis en 2022 stricto sensu. Alors allons-y et parlons, pour changer, de Black Metal.

2022 a été une bonne année. Peut-être pas révolutionnaire, mais suffisamment de perles ont vu le jour.

Comme dit le dicton, une année où Blut Aus Nord sort deux albums, c’est une bonne année. En effet non seulement les maîtres du Black cauchemardesque ont sorti Disharmonium, l’un de leurs albums les plus denses et les plus tortueux depuis Odinist, mais ils ont révélé à la face du monde Lovecraftian Echoes, un album fait d’expérimentations initialement destinées à la communauté du forum “VIP” de leur label Debemur Morti. Les trois entités chimériques composant le groupe se sont tellement pris à ce jeu “Qui Transforme Dieu” que Lovecraftian Echoes devient finalement un nouveau projet à part entière avec un nouvel album annoncé pour 2023. Affaire à suivre donc.

Du côté des gôchistes, le mouvement RABM se montre de plus en plus vivace et structuré, avec des groupes d’envergure, un foisonnement de projets et d’idées et des jeunes labels qui se forment. Parmi eux, True Cult Records en Grèce qui a une production impressionnante et distribue des pointures comme Cirkeln, les side-projects de Spectral Lore, nos français d’Etxegiña ou encore Tyrannus, merveille de Black sauce Heavy Metal venu d’angleterre.

Canti Eretici également, en Italie, à qui je dois le coup de coeur absolu de Thrä. Un projet de génie qui touche à tous les aspects du genre pour nous emmener dans des aventures épiques, occultes et glaciales.

Et enfin les labels gémellaires Fiadh (USA) et Vita Detestabilis (Espagne) qui s’associent pour distribuer un nombre toujours grandissant d’artistes exceptionnels. Parmi eux Stellar Descent, un Black Metal cascadien et forestier sublime en tous points, Ocean of Ghosts, une formation Sludge parlant de transidentité et marchant dans le sillage musical de Thou, ou encore le légendaire Book of Sand sur lequel je me suis beaucoup étendu, et bientôt des nouveaux projets de la part de Non Serviam.

Non Serviam, collectif anarchiste de la bagarre qui ont sorti l’un des albums les plus torturés, les plus en colère, et l’un des meilleurs albums de l’année.

Bref, le Black Metal est bien vivant en 2022 et loin de se scléroser dans un conservatisme infertile, il évolue.

Cold Wave FTW

Après le Black Metal, le Post-Punk est l’un des genres que j’ai le plus écouté cette année, comme souvent. Si une bonne partie de mes écoutes n’est pas située sur 2022 il y a tout de même plusieurs albums qui se sont démarqués.

Tout d’abord les patrons Christian Death. Oui, ils existent encore. Et oui, le dernier album défonce. Loin d’être parfait certes, mais rempli de tubes comme Blood Moon ou Beautiful, il m’a accompagné très souvent.

En parlant de patrons, le meilleur album de Goth Rock de 2022 est celui du duo français Dead Souls Rising ; envoûtant et imparable dans le style.

Dans les découvertes récentes je ne peux que vous recommander Sunrise Patriot Motion, le projet post-punk des frangins du formidable groupe USBM Yellow Eyes, ainsi que Glaring, one-woman band de Cold Wave éthérée et rêveuse.

Les essentiels

Comme tous les ans vous allez vous demander “bon il va le cracher son top10 ?” et comme tous les ans j’ai du mal à établir un top fixe. Je m’y prête pour notre exercice statistique de top communautaire, mais si je dois recommander ce que j’ai aimé cette année, disons que je préfère présenter un podium à peu près égalitaire car les places fluctuent souvent.

Certains albums, absolument essentiels pour moi, ont déjà été encensés maintes fois et souvent à juste titre, par des institutions bien plus influentes. Je me dis donc qu’à ce stade ce n’est plus vraiment la peine de vous conseiller le très abrasif Chat Pile, l’énormissime Hangman’s Chair, le surpuissant Zeal and Ardor, les TROIS génialissimes dingueries Jazzy psyché de King Gizzard & The Lizard Wizard.

Je me concentre sur mes albums du coeur qui sont peut-être moins largement connus, et sur lesquels je n’ai pas massivement écrit par manque de temps :

Zola Jesus – Arkhon : une grande dame de la pop expérimentale qui a produit un album plus intense émotionnellement que beaucoup de groupes de Metal.

Bad Manor – The Haunting : la folie maniaque faite Black Metal. La furie des guitares, une batterie qui mitraille et pilonne, des envolées grandiloquentes aux claviers et un chant complètement possédé… Je m’imagine toujours que cet album est joué par Bela Lugosi ayant pris du speed.

The Otolith – Folium Limina : la quasi-résurrection du mythique groupe de Doom féminin SubRosa. Voix féminines claires, violoncelles, riffs énormes en lentes lames de fond, le sel de SubRosa est là, mais avec plus de dynamique et plus de rugosité. Un grand album qui fera date.

Krallice – Crystalline Exhaustion : Krallice ont sorti deux albums fantastiques cette année, continuant leur évolution vers un Black Metal cosmique avec une prépondérance de synthés. Ma légère préférence va au premier, plus unique. Le seul album qui est resté dans le haut de mes écoutes depuis début janvier.

Enfin mon chouchou spécial, le clou de ma collection : DOLDRUM. Une vraie, authentique nouveauté dans le paysage USBM (avec Book of Sand). Ces charmants messieurs produisent un Black Metal moulé dans des grooves et des punkeries sautillantes et survoltées, une basse et une batterie qui t’en mettent plein la frimousse, et une hargne incomparable dans le chant. Le ton des guitares légèrement désaturé donne un effet de bottleneck voire de garage rock démoniaque, et l’album raconte de ces histoires qui font peur au bord d’un feu de camp. Voivod Buens Ende avec l’énergie de Primus, chanté par Cobalt : absolument fan-ta-stique.

Enfin, permettez-moi de compléter le tableau avec les albums sur lesquels je me suis déjà étalé :

2022 était une année assez dense musicalement. Espérons que 2023 soit à l’avenant. Ça commence plutôt bien avec les sorties annoncées, mais nous verrons tout cela en temps voulu.